Half Alive [PV Lorenzo]

Sans pilier.

Sans maison.

Sans famille.

Sans père.

Sans rien.

Son existence avait soudainement perdu tout son sens. Shine n'avait plus envie de rien. Tout semblait s'effondrer autour de lui. Il se sentait vide... le mot « solitude » paraissait bien faible pour décrire sa situation.
Qu'est-ce qu'il allait faire, sans Nico ? Qu'allait-il devenir ? Depuis que le mafieux l'avait recueilli, il n'avait jamais su subsister sans lui. Pour preuve, l'année où le Sawada avait été enfermé, il s'était presque laissé dépérir, apeuré par la disparition de la seule chaleur humaine qu'il acceptait réellement.

Son sac à la main, il franchit le portail de la demeure dans laquelle il ne remettrait plus jamais les pieds. Chassé comme une bête indésirable, il s'éloigna la tête basse. Désorienté, il laissa ses pas le guider sans réfléchir. De toute manière, le gamin n'était même plus capable de penser correctement. Sa vision se voilait de larmes sombres qui ne désiraient même pas couler. Elle restaient là, dans son regard évidé, prisonnière d'une émotion trop forte pour se libérer. Si triste qu'il ne ressentait plus rien, à part le néant des sens. Et la peur. De quoi ? Il ne parvenait pas à le définir. Tout se mélangeait, son esprit se muait en véritable bazar de mots et d'images, incohérents entre eux.
Le soleil montait petit à petit dans le ciel, annonçant l'arrivée du petit matin. La lumière qui se répandait sur la ville fit reculer le jeune garçon dans une ruelle assombrie. Comme si elle le brûlait, il fuyait cette douce lueur. Il n'en voulait pas, de cette sensation sensée être agréable. Tout ce qui était agréable à l'habitude lui semblait une lente agonie alors qu'il continuait son chemin au hasard, s'enfonçant lentement dans la ville. Un rictus amer étira ses lèvres. Pourquoi se fatiguait-il à marcher ? Il n'avait nulle part où aller. A part l'héritier de la mafia, à qui faisait-il assez confiance pour se réfugier chez lui ? Ciaira, la fiancée du Sawada ? Non, les morceaux de sa fierté brisée rejetaient cette option. Ses parents étaient morts, et même si ça n'avait pas été le cas, jamais il n'aurait remis les pieds dans sa prison d'enfance. Il ne possédait ni frère ni soeur, ou alors ne l'avait jamais su. Aucun ami. Personne.
Au final, il pouvait tout aussi bien s'échouer au fond d'une de ces petites ruelles mal famées, et se laisser agoniser jusqu'à ce que la mort vienne le prendre dans ses bras.

Les jambes fébriles, le gamin continua tout de même à déambuler dans les rues vides telle une âme en peine. Le teint livide, à l'image d'un gosse bien malade, il choisissait les coins les moins touchés par la lumière du jour. Les endroits obscurs seyaient bien mieux à son humeur du moment.
Et ces larmes qui ne sortaient toujours pas. Son coeur paraissait emprisonné dans un étau tranchant, et il avait par moments du mal à inspirer l'air. Tout se mettait à dysfonctionner. Il ressemblait à une machine à laquelle manquerait la pièce indispensable pour qu'elle se mette en route. Oui, l'envie avait disparu.

Depuis combien de temps marchait-il déjà ? Quelques minutes ? Des heures ? Il n'avait plus aucune notion du temps. Cela lui paraissait bien futile, puisque ce temps, il ne pourrait plus le partager avec Nico. A quoi bon le compter, savoir à quelle vitesse il défile, s'il ne sert plus à rien ?
Ses yeux fixèrent le sol, les pavés défilaient sans qu'il ne les voie. Les rayons du soleil commencèrent à s'intensifier et il dut encore plus baisser la tête pour ne pas être ébloui. Ses pieds traînaient sur le sol. Plus il avançait, plus il se sentait faible et abattu.

Soudain, il se heurta à une porte fermée. Lentement, il redressa la tête, posant son regard sur un endroit qui lui rappelait quelque chose. Trop épuisé et peiné pour réfléchir plus loin, il s'accrocha à la seule chose un minimum familière qu'il avait croisée: cet immeuble, celui dans lequel il s'était réfugié tout la nuit. Il pénétra dans le bâtiment, laissant traîner son sac par terre. Shine gravit les marches unes à unes, s'immobilisant parfois. Puis il se retrouva devant l'appartement de Yoshida. Fermé à clé, bien entendu. Le couloir était plongé dans l'obscurité, une atmosphère parfaite pour un gamin au bord du précipice. Il ne savait même pas pourquoi il restait ici. Qu'est-ce qu'il pouvait bien espérer d'un inconnu ? Et n'était-ce pas sa rencontre avec cet homme qui avait provoqué cette situation désastreuse, même si ce n'était que la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase ? Pourtant, le gosse s'appuya contre le mur, juste à côté de l'entrée, et se laissa glisser sur le sol. Il ne partit pas, et resta là, assis dans l'obscurité, à ruminer son chagrin. Les jambes repliées contre son torse, ses bras les entourant, et la tête posée sur les genoux, Shine ne bougea plus d'un millimètre. Il n'avait plus la force de se déplacer, de toute façon.

Il attendit, aussi immobile qu'une statue. Et puis, le pauvre gosse n'avait rien de mieux à faire. Quand midi passa, il ne ressenti même pas la faim. Trop peiné pour percevoir une autre émotion. Bientôt, l'astre lumineux descendit dans le ciel, pour ne devenir qu'une faible lueur au loin, éclairant à peine la petite fenêtre du couloir. La nuit tombait lentement sur la ville.

Voilà. L'obscurité avait fini d'envahir le couloir, laissant le pauvre gamin désemparé seul avec son désespoir, tapis dans l'ombre à la manière d'un petit animal égaré. Il n'avait d'ailleurs toujours pas changé de position. Bouger lui paraissait une tâche un peu trop difficile. Il n'avait plus goût à rien. Si Yoshida ne ramenait pas sa poire pendant quelques jours, il retrouverait probablement un cadavre pourrissant devant sa porte. L'espion n'avait pas l'intention de bouger. Pas que l'idée de revoir son hôte de la veille l'enchante. Plus rien ne l'enchantait. Il ne possédait juste plus aucune volonté. Changer d'endroit ? Pas question. Ses jambes étaient bien trop faibles pour lui permettre de se lever.
Etait-ce un juste retour des choses ? Avait-il mérité ça, sans se rendre compte qu'il avait commis autant de fautes ? Pourquoi payait-il ? Une multitude de questions sans queue ni tête s'entrechoquaient dans son crâne, créant un tumulte bruyant et douloureux. Si seulement il pouvait s'arrêter de penser... croyez bien qu'il l'aurait fait. A la seconde même. Parce que bien sûr, Shine ne pouvait pas s'empêcher de ressasser tous les détails de cette altercation avec Nico. Son regard dur, tranchant même. Ses mots assassins. Son coeur se désagrégeant en petits morceaux.

Allez bon à rien, remue encore le couteau dans la plaie. Vas-y, enfonce-toi encore plus.

« Euh bonsoir Shine...Vous euh...enfin...entrez. »

Le gosse ne sursauta même pas, malgré qu'il n'ait pas noté l'arrivée de sa précédente rencontre. Il resta sur place, ne relevant pas la tête. Ça valait mieux, de toute façon, avec son teint livide, presque cadavérique, et son regard vide, il faisait peur et peine à voir. Tellement qu'on pouvait décemment se poser cette question: valait-il mieux essayer de l'aider, ou le laisser dépérir sur place ?

Plusieurs secondes défilèrent, sans réaction de la part de Shine. Il était quasi absent, seulement conscient de ce qu'il se passait autour de lui par instants. Comme un robot, il finit tout de même par se lever et pénétrer dans l'appartement, par la porte laissée ouverte, qu'il referma derrière lui. Probablement son foutu instinct de survie, qui l'empêchait de franchir le pas de trop. Pourquoi il ne pouvait pas le désactiver, ce truc-là ?
Planté au milieu du salon, le gamin ne sut pas trop quoi faire. A vrai dire, il s'en fichait. Si son corps avait bien voulu lui obéir, il se serait laissé tomber sur le sol et n'aurait plus bougé sauf en cas d'extrême nécessité, et encore.
Pendant que Yoshida s'affairait, il ne décrocha pas un mot. Ses lèvres n'esquissèrent même pas le moindre mouvement. Les mots ne désiraient pas franchir sa gorge.

« Je suis surpris de vous revoir aussi vite.... qu'est-ce qui se passe ? »

Oh, rien. Je n'ai juste plus rien à faire sur cette terre. A part ça, tout va bien.

Ayant tout de même gardé quelques bonnes habitudes civilisée – si si, parfois il en avait, sa bouche s'entrouvrit comme pour répondre... échec critique. Aucun son ne sortit. Et puis, que pouvait-il bien dire ? Bonsoir, mon père m'a foutu dehors parce que je suis imbécile bon à rien qui ne lui pose que des problèmes, maintenant j'ai juste envie de crever et je me suis retrouvé là, je pourrais emprunter votre canapé comme cercueil ? Non, mauvaise idée. Mieux valait se taire, plutôt que de raconter une vérité aussi pathétique.

En guise de réponse, le garde du corps s'avança de quelques pas et s'échoua sur le canapé, le visage toujours aussi pâle, le regard perdu dans le vague, teinté d'une grande tristesse. Il avait beau crier haut et fort qu'il avait grandit, qu'il savait se débrouiller seul, ce n'étaient que des mensonges éhontés. Son enfance volée, il l'avait retrouvée à ses débuts chez Nico. Et il ne voulait plus en sortir, même si c'était dur à avouer. Sans le mafieux, il était bien incapable de survivre. Se débrouiller seul ? Oui, peut-être dans dix ans. Mais pas maintenant. Sauf qu'il n'avait pas dix ans pour s'adapter. C'était maintenant... ou jamais. Et dans son état, « jamais » semblait bien plus probable.

« Je... »

Shine déglutit. Dans sa tête, c'était le bordel total. Son coeur clamait haut et fort que tout était finit, que ça ne servait à rien de trouver de l'aide. De l'autre côté, sa raison s'insurgeait contre cette opinion absurde, insistant pour que le jeune homme se batte et se relève de cette chute. Un duel qui ne voulait pas prendre fin. Epuisé par tout cela, il serra les poings et prit son courage à deux mains pour réussir à prononcer une phrase compréhensible.

« J'avais... nulle part d'autre où aller... »

Bon, c'était pas ce qu'il y avait de plus clair... Mais avec un bon esprit de déduction, son hôte pouvait deviner les grandes lignes de la situation. Et il n'y avait qu'à voir le désespoir qui animait les traits du gosse. A bout de forces, il se laisse glisser sur le dossier, se retrouvant allongé sur les coussins.

Nulle part d'autre où aller. Ouais. Triste constat, mais c'était bien vrai. En fait, Shine n'avait nulle part où aller tout court, ce qui expliquait qu'il se retrouve si tôt chez sa rencontre de la veille, alors que le matin même, il se fustigeait d'avoir été assez con pour se rendre chez un inconnu et lui confier ses petits malheurs inintéressants. Et voilà, un comportement absurde de plus. Au point où il en était, le gamin ne pouvait plus tomber plus bas. Maintenant, il avait besoin d'une pelle pour creuser lentement le chemin vers son agonie. Au fond du trou, il avait le choix entre serrer les poings et remonter, ou attendre que tout s'arrête. Le choix fut vite fait. Il n'avait plus envie de se battre. Patienter jusqu'à ce qu'un quelconque malheur l'emporte paraissait une solution bien plus attrayante. Une solution de facilité... qui lui tendait les bras dans sa condition actuelle.

Affalé sur le petit canapé de Yoshida, l'espion ressemblait à un mort-vivant. Ou même un cadavre, avec son teint livide et ses yeux aussi vides que ceux qu'un mort. Quoique, cette lueur de peine qui transparaissait par instants rappelait qu'il subsistait encore un peu de vie dans ce corps vulnérable. D'habitude, Shine se serait insurgé contre un tel comportement. Il se serait traité de tous les noms, auto-infligé un bon coup de pied aux fesses pour réagir et aurait repris le cours normal de sa vie. Avec une petite cicatrice en plus sur son organe vital, jusqu'à ce qu'il y en aie trop pour que ce soit supportable. Mais cette fois... ce n'était pas une simple blessure superficielle qu'il arborait. L'impression qui étreignait le jeune homme était... au delà d'une sensation viable. Nico aurait tout au bien pu lui ouvrir la poitrine à coup de couteau, arracher son petit coeur qui avait déjà du mal à fonctionner correctement, et le piétiner devant ses yeux sans aucune pitié. Le résultat était le même, au final. Il se sentait brisé, et l'espoir s'échappait de lui comme d'un ballon troué avec une épingle, pas trop vite, juste à la bonne vitesse pour que ce soit douloureux.

« Le premier lieu serait sans doute chez vos parents... enfin tuteur. Et ensuite... chez un de vos amis ou camarade de classe vous ne croyez pas ? Votre tuteur va s'inquiéter si vous passez toutes vos nuits dehors. Il me semble que la charge de tuteur c'est quelque chose qu'on accepte librement non ? Je suis sûr qu'il s'inquiète pour vous malgré son travail. Vous devriez l'appeler. »

Alors qu'il saisissait le thé que lui tendait son hôte, accompagné du petit chocolat, les mots passèrent la barrière invisible qui s'était construite autour de ses tympans et parvinrent à se frayer un chemin dans sa tête. Son coeur se serra, et un léger rire ironique traversa ses lèvres. Rentrer chez lui ? C'était une blague ? Il venait de se faire foutre dehors, bien proprement. Et c'était clair que Nico ne voulait pas le revoir. Plus jamais. Et même s'il essayait... il connaissait déjà le résultat. Il pourrait repartir, encore plus blessé qu'avant. Tellement anéanti que cette fois-ci, il ne parviendrait même pas à sortir de la propriété, ses membres trop faibles pour le soutenir. Non, c'était l'idée la plus absurde à appliquer. Une forme de suicide interminable.
Aucune chance que le mafieux s'inquiète, vu que c'était lui qui l'avait mis à la porte. Son regard n'avait laissé aucune équivoque: il s'en fichait bien de ce que Shine pouvait devenir. Le gamin pouvait bien crever sur le bord d'un trottoir, il ne prendrait même pas la peine de ramasser ses restes. Un soupir traversa les lèvres de l'ex garde du corps. Toutes ces idées étaient vaines. Inutiles. Futiles. Il n'y avait rien à faire.

Bien sûr, beaucoup diraient qu'il abandonne trop vite. Qu'après quelques temps, la douleur passerait, et qu'il pourrait se relever et vivre, le sourire aux lèvres, la peine oubliée aussi facilement qu'une petite contrariété. Lui n'y croyait pas. Il ne se voyait plus sourire, ce qui était déjà rare même lorsqu'il était heureux. Il ne se voyait plus continuer à exister, alors qu'il avait perdu son pilier, celui qui l'avait sauvé... le seul à qui il avait accordé toute sa confiance depuis.
Le gosse le savait aussi, il avait toujours tendance a interpréter les actes de son protecteur comme plus négatifs qu'ils ne l'étaient. Parfois jusqu'à l'extrême. C'était peut-être le cas aujourd'hui. En y réfléchissant correctement, il se serait probablement rendu compte que l'héritier Sawada ne pouvait pas l'avoir foutu dehors comme ça sans rien ressentir, à moins d'être d'une incohérence totale. Mais il était trop peiné pour le voir, ou pour réussir à accepter cette solution. Le désespoir était un état bien plus facile à atteindre que le doute.

« Vous devriez boire... ça vous fera du bien. Je ne suis pas un Ange gardien mais juste un pauvre type je ne peux rien faire de plus. Vous pouvez choisir de me dire ce qui ne va pas ou bien rester sur mon canapé à déprimer... bien que la deuxième optique m'enchante moyen, je ne suis pas un monstre, je ne vais pas vous mettre à la porte. »

Shine avala une gorgée du liquide chaud, puis d'autres derrière, lentement. L'eau sortait de la casserole, et pourtant, il se sentait toujours aussi froid à l'intérieur. Plus rien ne semblait capable de le réchauffer, de lui redonner un semblant de vie. C'était pitoyable. Franchement, pourquoi est-ce que Yoshida prenait la peine de l'accueillir chez lui ? Le garçon avait tout d'un indésirable. Un insecte que n'importe qui aurait écrasé avec plaisir, avant qu'il n'ait l'idée de se repointer pour foutre sa merde. Trop dans le coltar pour vraiment y réfléchir, l'espion se posait quand même quelques question, en bruit de fond.

« Je ne peux pas rentrer chez moi... »

La phrase resta suspendue dans le vide, sans suite immédiate. Les mots faisaient trop mal, perchés au bord de ses lèvres comme des bouts de verre bien tranchants. Les secondes s'écoulèrent, alors que le regard pailleté d'or du petit se teintait de nuances humides. Encore des larmes qui stagnaient dans ses yeux sans daigner s'écouler, et le soulager un peu. Puis la suite sortit enfin.

« Il m'a mis à la porte... je n'ai plus le droit... d'y retourner... »

Voilà. C'était dit. Et le fait de s'entendre prononcer ces mots plongea le Sawada dans un état encore plus avancé d'agonie. Le dire, c'était se l'avouer. Le dire, c'était réaliser que tout ça n'était pas juste un mauvais rêve. S'écraser face la première contre le béton, sans amortissement. Sans protection.

Ses mains se mirent à trembler et il se recroquevilla sur le canapé. Avait-il vraiment tout perdu ?

« Qu'est-ce que je vais faire maintenant ? »

Sa voix reflétait son état. Faible, rauque, lourde de tristesse.


[Pfiou, enfin réussi à l'écrire. Encore désolé pour le grand retard T_T]

Oui, qu'est-ce qu'il allait faire, maintenant qu'il n'avait plus personne sur qui compter ?

Bonne question...

Une énigme compliquée à résoudre. Un casse-tête qui n'avait pas de solution, pour ce jeune homme recroquevillé sur un canapé miteux qui n'était pas le sien. Enfin, dans sa tête en tout cas, il ne voyait pas d'issue. En tout cas pas d'issue qui présente un quelconque intérêt. D'un côté, il n'avait plus envie de continuer à exister. A quoi bon ? Il venait de perdre ce qui lui permettait de tenir. Et d'un autre côté... quelque chose en lui ne lui permettait pas de se laisser aller jusqu'à la délivrance morbide qui lui tendait les doigts. Le peu d'humanité qui lui restait luttait encore pour survivre. C'était absurde. L'humain était absurde. Il se sentait absurde... mais ne pouvait rien y faire.

« Votre tuteur ne peut pas vous mettre à la porte....il faut appeler l'assistante sociale ils vous trouveront un autre foyer où vous serez mieux. »

Oh oui, qu'il le pouvait. Il avait tous le droits, et Shine n'avait plus qu'à garder la bouche fermée, malgré tout ce qu'il avait envie de dire.
Quant à lui trouver un autre foyer... c'était peine perdue. Il ne se sentirait jamais mieux, entouré de gens qui mettraient toute la bonne volonté du monde à l'entourer d'affection qu'il était bien incapable de recevoir. Il n'aimait pas les autres. Il les haïssait, ces hommes et ces femmes avec leur langue perfide qui ne servait qu'à mentir. Il les côtoyait parce qu'il n'avait pas le choix... le seul qui avait sa confiance, c'était Nico.
Malgré toute la bonne volonté du monde, il ne pourrait jamais se sentir chez lui dans un autre foyer. Cela lui semblait de l'ordre de l'inimaginable. De l'impossible, même.

« Vous allez rester ici pour cette nuit , demain je vous accompagnerais si vous le désirez.... ça va aller ne vous inquiétez pas. C'est normal quand on perd quelque chose d'être triste....au début on est tellement triste qu'on arrive pas à penser à autre chose, puis après on se met à culpabiliser....sur ce qu'on aurait pu faire pour ne pas que ça arrive.... et puis avec le temps ça s'efface même si on a toujours mal. On continu de vivre avec sa conscience... »

Avec le temps... ? Oui, mais combien de temps ? Une jour ? Deux ? Une semaine ? Plusieurs mois ? Des années ? Les blessures prenaient parfois longtemps à guérir. Trop longtemps. Il le savait bien. Et puis, son côté pessimiste le poussait à croire que cette plaie béante qui venait de lacérer son coeur ne se refermerait pas de sitôt.
S'évertuant à rester muet, laissant les mots de son hôte se promener dans ses pensées en vrac, il observa Yoshida, le regard un peu dans le vague.

« Bon appétit.....mangez ça sert à rien de se laisser crever et de se torturez sur son sort. Vous n'auriez pas pu mieux faire. Il n'y a rien que vous auriez pu faire.... Quand mes parents sont morts j'ai beaucoup culpabilisé. J'aurais pu être un meilleur fils, leur causer moins de chagrin....des tas de choses. Mais avec des si on refait le monde. Nos actes reflètent ce qu'on est et il faut savoir s'accepter.... la douleur passe avec le temps croyez moi par expérience même si ça vous paraît invraisemblable aujourd'hui. »

Le gosse considéra un instant le bol de nourriture posé sous son nez, puis tendit lentement la main pour le saisir fébrilement. Il porta le récipient près de sa bouche, attrapa les baguettes et commença à manger, pas tout à fait présent, mais complètement absent non plus. Sa tête bouillonnait de doutes et de peur. Même s'il le niait, il vivait constamment dans la peur. Une peur contrôlée. Mais toujours présente. Sauf que maintenant... ce sentiment commençait à s'attiser, occupant de plus en plus de place dans sa poitrine qui menaçait d'exploser. Il avait peur de ce qui allait suivre. Peur de son futur, de ce qui allait lui arriver. Peur de se réveiller le lendemain... et de se rendre compte que cette situation était bien réelle.

Son bol fini, Shine le posa doucement sur la table. Il resta immobile un instant, le regard voilé de tristesse. Ce vide qui se formait en lui... il se demandait s'il serait comblé, un jour. Sans doute pas.

Son dos bascula lentement en arrière, et il s'affala à nouveau sur le canapé. Il avait envie de disparaître, de se blottir au fond d'une endroit sombre et de ne plus en ressortir. Il se couvrit de la petite couverture qui trônait à ses pieds, ses yeux errant sans but sur le sol de la pièce.

« Combien ? »

Son souffle s'arrêta un instant.

« Combien de temps ça prend, pour oublier ? »

Oui, combien de temps ? Parce que si sa mémoire comptait le faire souffrir jusqu'à son dernier souffle... autant être au courant.

Shine avait posé cette question sans vraiment attendre de réponse. Il désirait qu'on le délivre du poids qui pesait sur ses épaules... et son instinct lui disait que la réponse à sa supplique ne l'aiderait pas à se libérer. Au fond il savait, qu'oublier la douleur, ça ne se faisait pas en claquant des doigts. Surtout dans son cas. Ça prenait de longues journées, avec beaucoup de chance. Autrement, des semaines, quelques mois. Parfois des années... peut-être toute une vie. Alors non, au final, il n'avait même pas envie d'entendre la réponse de Yoshida... tant pis, elle vint quand même.

« On oublie jamais vraiment..... mais... pour essayer d'aller mieux je crois que... qu'il fait tourner la page, changer d'air. Partir ailleurs que là ou sont tous nos souvenirs.... je dis ça mais je ne suis pas le meilleur exemple. Je reste ici alors que...c'est l'endroit avec...ou j'aurais du vivre avec ma femme. Comme si un jour elle allait revenir je reste là. »

Et voilà... il le savait. Un soupir vaincu traversa ses lèvres. Partir ? Voyager pour oublier ? Il ne savait pas s'il avait la force de sortir de cet appartement, alors s'envoler dans un autre pays... ça lui semblait une tâche impossible. Et puis... pour faire quoi, une fois arriver ? Farniente toute la journée au soleil jusqu'à devenir une vieille carcasse putréfiée par la chaleur ? Atterrir dans un vieux bar miteux au fin fond d'un bled perdu et se soûler jusqu'à ce qu'il ne soit plus assez lucide pour porter le goulot de la bouteille jusqu'à ses lèvres, puis se laisser crever dans une ruelle choisie au hasard de son délire ? Aucun intérêt. Autant dépérir ici. C'était moins fatigant. Le gamin se sentait déjà tellement épuisé... pas besoin de se rajouter des choses futiles à accomplir sur le dos.

Mi-conscient, mi-absent, la tête à la fois ici et ailleurs, l'espion écouta les paroles de son hôte. Lorsque l'information parvint enfin à ses pensées embrumées, un rire ironique sortit de sa gorge. Au point où il en était... oui, peut-être que la solution était de se droguer ou de boire jusqu'à ce que tous ses neurones soient détruits, uns à uns, lentement, dans une douce agonie. Il ne valait pas beaucoup mieux que ça, de toute façon. Et si Nico le retrouvait, il regarderait sûrement son cadavre avec un sourire satisfait. Il ne méritait pas une fin plus héroïque. Il n'était qu'un pauvre gosse mal élevé que toute le monde se plaisait à abandonner.
Son rire s'intensifia un instant avant de disparaître dans l'atmosphère aussi vite qu'il s'était manifesté. Tout ceci était vraiment ridicule. Pathétique. Le résumé de son existence.

Une couverture fut déposée sur sa carcasse amorphe. Il jeta un bref coup d'oeil à Yoshida avant de reprendre sa contemplation absente du mur, le regard perdu dans le vague. Même penser le fatiguait.

« Partir... » souffla-t-il presque imperceptiblement.

L'idée lui semblait toujours aussi vide de sens, absurde... mais la graine commençait tout de même a germer dans son esprit dérangé. Il commençait à virer cinglé de toute façon, et n'essayait plus de se poser des questions sur la tournure que prenaient ses réflexions.
Partir... et prendre un nouveau départ ? Un autre rire faillit lui échapper. Tu parles. Il n'arriverait pas à se relever, et le savait pertinemment. Alors pourquoi ce soudain regain d'espoir, si cette infime lueur qui brillait là, tout au fond du tunnel, pouvait s'appeler de l'espoir ? Encore cet imbécile d'instinct de survie qui lui disait de saisir cette chance. De s'accrocher encore un peu, au cas où. Quelle perte de temps.... mais l'envie s'insinuait petit à petit dans l'esprit du garçon au regard vide.

Trop plongé dans sa torture mentale, il n'entendit pas quand son hôte quitta la pièce pour aller s'aliter. Les heures passèrent, et le gosse ne ferma pas l'oeil de la nuit. A un moment, il quitta le nid douillet que formait le canapé et fit les cents pas dans la pièce, à l'image d'un fantôme qui hanterait les lieu. Il arpenta l'endroit de mur en mur pendant de longues minutes, peut-être même une ou deux heures, avant de se recoucher sur le canapé.
Partir... était-ce la solution ? Pourquoi ne pas tenter sa chance ? Il se haïssait pour se raccrocher encore et encore à une vie qu'il haïssait de plus en plus... mais le processus était lancé maintenant. L'envie de quitter ce monde s'amenuisait, malgré le peu de vie qui subsistait encore dans ses yeux noisette. S'il ne tentait pas sa chance ici... peut-être qu'il raterait sa seule occasion de s'en sortir ?
Il secoua la tête.... qu'espérait-il trouver, ailleurs ? L'Eldorado ? L'amour de Nico ? Un foyer ? Plus il y réfléchissait, plus tout ceci lui semblait insensé... et plus il se persuadait qu'abandonner maintenant serait une erreur.

Agité par toutes ces pensées contradictoires, il se releva et se remit à errer dans la pièce, la tête basse, le regard rivé sur le sol, la tête en feu. Epuisé, il finit par se coucher à même le sol et s'endormit. Le bruit de tasse s'entrechoquant dans la cuisine le réveilla, deux heures plus tard. Courbaturé, il réussit néanmoins à se relever avec une grimace. Même s'il ressemblait toujours à un cadavre sortit d'outre-tombe, il avait l'air en meilleure forme. Assez pour tenir debout en tout cas. Il se dirigea tant bien que mal vers la cuisine et passa la tête par l'entrebaillement de la porte, découvrant son hôte entrain de préparer le petit-déjeuner. Il l'observa un moment, puis l'aida à transporter la pitance au salon, ne décrochant pas un mot.
Son combat mental se termina alors qu'il entamait sa tasse de thé. Au final, l'irrationnel l'avait emporté. Comme toujours. Une défaite de plus.

« Vous avez beaucoup voyagé ? »

Il s'était décider. Il allait partir, et si l'entreprise ne réussissait pas à lui faire retrouver un semblant de santé mentale, il se laisserait crever là où il aurait atterri. Mais il ne savait pas où aller. Autant que Yoshida choisisse à sa place. Ou au moins lui donne une palette de choix plus restreinte que le fouillis qui régnait dans son esprit, histoire qu'il cesse d'hésiter.

« Je ne sais pas où aller... mais je dois partir. »

Une petite lueur s'était rallumée dans son regard à la fois dur et enfantin.

« Il faut que je m'en aille... rapidement... »

Oui, très vite... avant que sa douleur ne revienne l'abattre d'un coup de massue et qu'il ne change d'avis. Il était bien conscient que, malgré le peu de chances de réussite, cette entreprise était pour ainsi dire son dernier recours. Avant que toute envie de réagir ne l'abandonne définitivement. Il devait dire aurevoir à ce pays, couper les liens avec tout ce qui pouvait lui rappeler l'héritier Sawada. Et espérer que la souffrance s'estomperait plus rapidement, de cette manière.





[Avec quelques jours de retard, mais j'y suis arrivé ! =P]

« C'est compliqué de voyager....il faut un passeport, un permis de séjour dans le pays dans lequel on va... trop de paperasse. J'imagine que c'était plus facile autrefois... »

Le gamin secoua légèrement la tête. Les difficultés, il s'en contrefichait. C'était pas comme si sa vie avait été facile. Il avait marché de merdes en merdes, trouvant parfois un bout de chemin favorable... mais là, c'était fini. Au bout du compte, il s'était retrouvé, à nouveau, sur une route sinueuse et à l'avenir sombre. Alors les difficultés d'un voyage... ça lui passait bien au-dessus de la tête. Et puis, avec sa capacité à passer inaperçu, lorsqu'il y mettait un peu du sien... il ne se faisait pas trop de soucis. Ma fois, s'il devait voyager clandestinement... tant qu'il pouvait poser le pieds dans un autre pays, sur un autre continent si possible, loin d'ici et de cette explosion nocive d'émotions qui le submergeaient et l'empêchaient de se comporter correctement... ça lui convenait. Toute autre solution lui semblait maintenant inutile. Il devait fuir. Chercher le salut autre part. Et espérer que ça suffirait à panser la plaie béante qui déchirait son coeur, en tout cas assez pour que le saignement ne soit pas trop douloureux.
Plongé dans ses pensées noires, Shine releva la tête lorsque Yoshida lui adressa à nouveau la parole.

« Ecoute je connais quelqu'un... je crois qu'il pourrait t'aider si tu as envie de prendre le large. Tu n'auras qu'à aller le voir et lui dire que tu me connais. »

Une lueur intéressée apparut dans son regard terne. L'espion attrapa le billet que son hôte lui tendait. Au final, en plus de l'avoir logé et nourri, cet homme lui aura été utile jusqu'au bout. Sans savoir dire merci par la parole, le gosse adressa tout de même sa gratitude à Yoshida par le regard, et d'un léger signe de la tête. Il n'avait plus envie de parler ou de voir personne, mais il devait avouer que la compagnie de cette homme avait été secourable et rassurante dans ses sombres heures, même presque agréable, ce qui était beaucoup concéder de sa part, lui qui se plaisait à haïr tout les êtres humains qu'il croisait.
Soupirant, Shine fixa un instant l'adresse qu'on lui avait donné. Mieux valait agir rapidement. Le plus vite serait le mieux. Et si ça ne fonctionnait pas... il n'aurait plus qu'à s'arracher le coeur à la petite cuillère en espérant que cela fasse taire son chagrin.

Maintenant, il fallait encore qu'il se décide sur la destination. Yoshida ne lui serait apparemment d'aucune aide sur ce point-là... autant choisir au hasard. Peu importait, il ne comptait pas refaire sa vie là-bas. Juste y survivre, dans des conditions plus viables émotionnellement qu'ici.

L'espion acquiesça lorsque son hôte lui fit remarquer qu'il devait partir travailler. De toute façon, il fallait qu'il bouge et qu'il parte rapidement, alors il n'allait pas protester.

« Pas de problème. Je veux partir au plus vite, de toute façon, alors... »

Le gamin rassembla les quelques affaires qu'il avait, balança son sac sur son épaule et sortit du petit appartement. Il descendit les marches tranquillement, réfléchissant à sa destination. Au premier abord, l'Amérique ne le tentait pas plus que ça. Non, il voulait quelque chose de plus dépaysant. Tant qu'à faire, autant s'exiler. L'Europe lui paraissait un meilleur choix, pour une raison inconnue. Son humeur ne lui dictant pas d'aller se dorer la pilule dans un pays du sud, sur une grande plage grouillante de monde, il préféra se diriger vers un pas nordique. Norvège, Suède, Russie ? Son esprit balançait entre différentes destination, mais cela semblait se préciser petit à petit.

« Il y a un million de destinations et de pays à découvrir, quand on est jeune il faut en profiter il paraît... je crois que si j'en avais l'occasion, je commencerais par New-York et je finirais par l'Europe. »

Shine hocha de la tête. New-York ne lui disait finalement rien qui vaille. Quelques secondes de plus, et il opta pour la Russie, sans trop savoir pourquoi. Il avait assez de notion de la langue pour survivre, et même converser avec quelqu'un tant que ce n'était pas trop compliqué.

« Je... »

Il se tourna vers Yoshida, afin de lui faire face, et pour la première fois, lui adressa un sourire sincère. Quelque chose de rare sur son visage.

« Je vais tout de suite aller voir votre connaissance et partir au plus vite. »

Shine fit volte-face et commença à s'éloigner. Avant d'être trop loin pour que l'homme puisse l'entendre, il lui lança un « Merci » et disparut à l'angle de la rue, courant vers son avenir.




[J'étais sûr d'avoir répondu depuis un bon moment déjà oO J'ai pas d'excuse à part mon cerveau déficient xD Bon, du coup le sujet est clos maintenant ^^]